Sœur Emmanuelle
Elle avait pour prénom Iris mais il l'avait surnommée Sœur Emmanuelle tant son altruisme forçait son admiration, lui remémorant l'abnégation de la religieuse.
Jamais les moindres signes de contrariété ou de lassitude ne venaient altérer les traits de son visage rayonnant. Jamais un soupir ne plissait le doux sourire de ses lèvres pleines.
Hospitalisé pour une autogreffe courante de cœur issu de cellules souches, Paul ne parvenait pas à comprendre comment une si jeune femme – elle ne devait pas avoir plus de dix-huit ans – s'acquittait avec une joie non feinte des tâches dures et ingrates d'une aide-soignante de l'hôpital Yamanaka. Car, contrairement à sœur Emmanuelle, rien chez elle ne trahissait une foi quelconque. Pas même une chaîne autour de son cou qui aurait pu suggérer l'existence discrète d'une croix en pendentif. Se serait-elle sentie investie d'une vocation laïque à se dévouer à son prochain à l'âge où l'on veut croquer la vie à pleines dents ? Paul se perdait en conjectures mais ce n'est que le matin du quatrième jour de son hospitalisation – sa curiosité supplantant sa pudeur - qu'il s'enhardit à la questionner sur sa vie privée.
— Dites-moi, Iris, en dehors de votre travail, que faites-vous de votre temps libre ?
Sans interrompre la désinfection des deux minuscules cicatrices de son thorax, elle le fixa de son regard lumineux.
— Je m'instruis.
— Bon, d'accord, mais ne vous ne faites pas que ça ? Vous vous amusez aussi, non ?
Il crut lire une pointe d'incompréhension dans ses yeux. Mais c'est avec un sourire éclatant qu'elle répondit :
— Il n'y a pas plus grand amusement pour moi que d'acquérir des connaissances.
— Soit, mais vous avez bien des amis ?
— Oh oui, je les rejoins tous les soirs.
Il ne put en savoir d'avantage. Elle éluda avec délicatesse toutes les autres questions la concernant.
Comme tous les autres jours, à la fin de son service, Iris se rendit dans un local technique du dernier sous-sol de l'hôpital. Ses collègues, Noa, Yasmine, Jacinthe, Azalée et Lilian étaient déjà là. Ils se sourirent tout en posant leurs mains sur la bande métallique courant le long des murs de la pièce vide. Telles des ailes de papillon, leurs paupières battirent plusieurs fois avant de se fermer. Maintenance et recharge prendraient toute la nuit.
Communiqué de l'AP-HP, 18 octobre 2030
Pour pallier le manque d'effectifs du personnel soignant, l'AP-HP teste actuellement l'introduction de robots anthropomorphes orientés empathie dans les différents services hospitaliers.