Saturnalia
Sans doute, Claudio, ignorais-tu, toi pourtant si cultivé, que le 17 décembre était, à l’époque romaine, l’un des trois jours où l’on fêtait les Saturnales.
Peut-être, l’aurais-tu su, aurais-tu retenu tes coups, ton instinct, que tu disais infaillible, t’alertant du danger de la révolte. Laisse-moi, mon amour, pour une fois, t’instruire d’un peu d’histoire. Durant les Saturnales, les lois garantissant l’ordre et la propriété, celles-là mêmes que tu as, du haut de tes fonctions, contribué à renforcer, ces lois n’avaient plus cours. Les esclaves se retrouvaient libres, libres d’aller et venir, de parler haut et fort, de ne plus se soumettre aux injonctions de leurs maîtres, de se soustraire à leur violence.
C’est pourquoi, ce soir, je vais recouvrir de fond de teint mes bleus et mes contusions et mettre du baume sur mon cœur. Ce soir, je ne serai plus ta soumise, ta propriété, ton objet, ton jouet, ta chose, dont tu pouvais à loisir user et abuser, je ne serai plus la poupée de latex que jette un enfant capricieux ou que pénètre un frustré sexuel. Ce soir, je retrouverai mes amis, que tu avais si bien su éloigner de moi pour m’isoler et me maintenir sous ta coupe. Avec eux, je vais rire, chanter, danser et aussi pleurer, oui pleurer, mais pas des larmes de détresse dont tu te serais repu, des perles de bonheur que tu ne verras pas. Je hurlerai ma joie pour prouver que plus rien ne me bâillonne, j’agiterai mes mains pour montrer que plus rien ne les enchaîne et lèverai les yeux au ciel étoilé pour signifier à tous les dieux de l’univers que jamais plus je ne les baisserai. Sans toi, la nuit sera sans crainte et la rosée du matin estompera, dans ma mémoire, les traits de ton visage. Loin de toi, j’échapperai à ton emprise, j’emprunterai les chemins de la résilience. Car, mon ange noir, j’ai une mauvaise nouvelle pour toi. Contrairement aux esclaves des Saturnales qui retrouvent le joug de l’oppression une fois les jours de fête écoulés, je ne réintégrerai pas ma geôle avant que les poules aient vu ressurgir en leur bec les dents de leurs ancêtres dinosaures.
Bona Saturnalia, mon amour.