Correspondances
Longtemps, le premier jour de l’hiver austral, je me suis levé à l’aube, tout à la joie de communier avec Sohalia.
Je m’asseyais face à l’océan, sous la protection des moaï d’Ahu Tahai et j’attendais l’aurore. Nos cœurs, alors, battaient à l’unisson, car je savais qu’elle était à mes côtés.
Nos routes s’étaient croisées sur un quai venteux de San Francisco, quand, sur les collines, l’avant-garde des lumières de la ville affrontait les brumes du crépuscule. L’envol de son chapeau avait permis l’improbable rencontre du marin chilien à la dérive et de la princesse sri-lankaise en exil. Je n’étais rien, ne possédais rien, excepté un reste de fierté. Lui tendant son couvre-chef, j’avais soutenu son regard. Elle ne me prit pas en pitié mais à son service. Elle fuyait la guerre et ses tragédies. Je devins le garde de son corps défendu, dont il m’était seulement permis de rêver. Je la suivis sous toutes les latitudes, de cité en cité, d’un continent l’autre, veillant fébrilement sur elle. Ses ennemis devinrent les miens et je me défiai de ses amis.
La vie de palace, aussi, est lassante. Mais seule m’importait la sécurité de ma noble dame. Jamais un chien n’abandonne sa maîtresse. Ce fut une balle, à elle seule destinée, qui mit fin à mes obligations. Je m’interposai entre Sohalia et l’arme brandie par un domestique félon. Elle fit abattre le traître et, à moi, son sauveur, prodiguer les meilleurs soins. Mon bras droit resterait invalide, déclara le médecin. Il était temps pour moi de retourner sur Isla de Pascua. Le soir même, elle apprit que la guerre dans son pays avait pris fin. Elle allait enfin retrouver les siens.
Le jour de mon départ, elle me fit venir dans sa suite. Devant elle, sur un guéridon, était étalée une grande carte du monde graduée. Traçant de son index une ligne imaginaire du pacifique sud à l’océan indien, elle m’expliqua que le soleil se levait sur mon île douze heures et trente-deux minutes après qu’il se soit levé sur la sienne. Or, me dit-elle, le 21 juin de chaque année, la durée du jour à Colombo était également de douze heures et trente-deux minutes. Elle se rapprocha alors de moi, déposa un baiser sur mes lèvres rêches et tout en nouant une écharpe bleue autour de mon cou me demanda de lui promettre de la retrouver face à la mer, tous les 21 juin du reste de nos vies, quand sous mes yeux pointeraient les premiers rayons du soleil tandis qu’elle en contemplerait les derniers rougeoiements à l’horizon.
Création réalisée dans le cadre du Prix Short Édition – Livres en Tête 2016. Nouvelle finaliste.